Lorsque j’avais laissé le récit dans l’épisode précédent nous étions légèrement en proie au désarroi. Par la fenêtre des taxis-brousses, dont les trajets et les attentes étaient interminables, nous ne voyions que des paysages sans reliefs, secs, et semblables à ceux que peuvent nous offrir le Burkina. Ce n’est pas désagréable pour autant mais ce n’était pas ce à quoi nous nous attendions. En sus, les villes traversées n’avaient rien pour nous retenir. C’est donc en pleine nuit que nous sommes arrivés à Nkwenta, c’est d’ailleurs le moment où je me suis promis de ne plus jamais emprunter un tro-tro de nuit. Notre chauffeur roulait juste derrière un autre véhicule, dans un nuage de poussière à couper au couteau, avec ses phares qui n’éclairent donc qu’un mur de particule et le tout à une vitesse suffisamment déraisonnable pour me faire renoncer aux déplacements nocturnes. Quoi qu’il en soit, nous sommes arrivés sains et saufs. Nkwenta m’a tout de suite bien plu : de nombreux petits spots offrant bières et un lot de liqueurs fort intéressantes que nous avons explorées consciencieusement, des guest houses propres et bon marché et des gens très accueillants. Nous y avons fait quelques belles rencontres. A noter que des amis y sont passés quelques jours après nous et ont été très déçus : rien d’ouvert le 31 décembre si ce n’est les églises, pas un seul restaurant sauf un kiosque servant de la viande de rat ou de chat. Mais comme nous n’allions pratiquement jamais au restaurant ce n’était pas très gênant.
Le lendemain, cette bonne première impression s’est trouvée puissamment confirmée puisqu’en me réveillant j’avais sous les yeux un paysage vallonné, surmonté de nombreuses montagnes toutes plus vertes les unes que les autres. Nous avons profité de la proximité et de l’accessibilité du parc de Kyabobo pour aller faire un tour (forcément guidé) dans la nature. L’objectif de la promenade est la découverte d’une cascade, qui est somme toute assez ridicule, mais ne dit-on pas souvent que le plus important n’est pas la destination mais le chemin en lui-même ? Et ce chemin était justement riche en beaux paysages, en arbres majestueux, en curiosités botaniques et en nuages de papillons – il y en avait des centaines, rivalisant de couleurs éclatantes. Quel bonheur de marcher dans la montagne au milieu d’une végétation luxuriante et sous l’ombrage de la canopée.
Nuitamment, nous avons fait connaissance avec les nombreux burkinabés venus à Nkwenta pour la construction de la route qui traversera la région.
Le lendemain, pas trop pressés de repartir de Nkwenta nous sommes partis à la découverte de Shari. Aku, qui nous accompagnait dans la ballade de la veille, nous avait peint ce village de telle façon qu’il nous était impossible de ne pas nous y rendre. Nous avons donc trouvé une moto et quelqu’un pouvant nous mener là-bas. Effectivement, dès le premier coup d’œil, le lieu impressionne. Il faut déjà s’enfoncer assez loin dans les montagnes pour arriver au pied du village et ensuite emprunter un petit sentier rocailleux à flanc de colline pour l’atteindre. Les constructions reposent pour la plupart directement sur la roche qui a du être taillée. Toutes les maisons, en briques de terre séchée visiblement mélangée à des graviers et de la paille, sont collées les unes aux autres, comme si elles cherchaient à se retenir mutuellement pour ne pas dégringoler en bas. Les ruelles sont étroites, sinueuses, pleines de marches creusées dans le rocher. Lorsqu’on est habitué à l’habitat mossi, très dispersé et sans véritable centre, le choc est grand.
Le village de Shari, perché sur la montagne, où on croise au hasard des ruelles des chèvres, des chats, des femmes qui rigolent ou pilent l'igname, des hommes qui discutent ou s'adonnent à un sacrifice rituel.
Nous sommes accueillis par les autorités du village, qui sont à la fois très mystiques et aussi un peu habituées au tourisme. Nous nous voyons délestés de quelques cidis pour avoir le droit de visiter et prendre des photos et la moindre discussion devient sujet à problème. On se résigne donc et s’acquitte même de la somme nécessaire à l’achat de l’alcool « local » qui va servir à faire une cérémonie de bénédiction qui consiste à psalmodier quelques formules en versant de l’alcool à terre et à en boire quelques gorgées (à 8h du matin, ce n’est pas chose la plus agréable) avant que la bouteille encore presque pleine ne disparaisse à tout jamais de notre vue. Au-delà de ça, nous avons affaire à de vraies autorités spirituelles et le climat de mysticisme est palpable dans le village : on assiste malgré eux à une cérémonie de sacrifice d’un pigeon blanc et d’un agneau sur une pierre sacrée dans le village, dont on nous éloigne rapidement ; il nous est impossible de visiter la cascade, attraction du village, car des cérémonies rituelles ont lieu depuis plusieurs semaines là-bas ; alors qu’on s’avance sur un des chemins qui mènent au Togo par les montagnes (le Togo est à seulement deux heures de marche et notre guide nous raconte que des gens traversent souvent la frontière avec des motos sur le dos ou d’autres objets à faire transiter discrètement d’un pays à l’autre), nous sommes arrêtés à cause de la présence d’un esprit plus loin sur la voie qu’il est préférable que nous ne rencontrions pas. Notre raison d’occidentaux bascule, à juste titre, entre l’impression qu’on se moque grossièrement de nous, et l’acceptation et le respect d’un monde que nous ne comprenons et ne percevons pas. Le chef du village sera d’ailleurs surpris qu’on ne soit présents que pour visiter car la plupart des visiteurs, ghanéens comme occidentaux, viennent pour effectuer des cérémonies particulières ou des sacrifices.
Quelques scènes dans les rues du village, ainsi qu'une vue d'ensemble. On voit un drôle de motif se dessiner sur la montagne d'en face entre les arbres qui ont perdus leurs feuilles et ceux qui sont restés verts.
La pierre sur laquelle le sang du mouton sacrifié a été versé et une vue d'ensemble de la place où se tiennent les cérémonies
Une nouvelle fois, je suis impressionné par les femmes qui cheminent sur ces sentiers glissants et escarpés avec des sandales tout ce qu’il y a de plus inadaptées et des chargements écrasants. Nous sommes plutôt bien reçus et constituons une bonne source de rigolade pour les femmes occupées à faire la lessive au bord de la rivière. On peut aussi profiter d’un bon plat de futu d’igname fraîchement pilé.
Vu de l’autre côté de la vallée, le village dégage une impression de vie débordante avec toutes ses maisons qui se montent les unes sur les autres comme si elles souhaitaient être les premières à atteindre le sommet de la montagne et alors que résonnent les cris des enfants, les coups sourds de mortier écrasant l’igname sans relâche, les notes de l’orchestre de l’église occupé à répéter et quelques postes radios diffusant la musique akan des années 70-80 (un mélange de musique traditionnelle orchestralisée à la sauce salsa comme l’Afrique de l’Ouest en était si friande après les indépendances).
Pour la petite anecdote, le village, pourtant situé à une heure de route de l’axe le plus proche, est quand même doté de l’électricité car un ancien élu départemental (ou régional, peut-être même un député je ne me rappelle pas) en était originaire et a donc réussi à faire pression pour l’électrification. Ça ne vaut pas le dernier village où j’ai du travailler au Burkina où un ministre à fait construire sa maison en pleine brousse et a réussi à faire installer une ligne jusqu’à son domicile où elle s’arrête nette alors qu’un village se trouve à peine deux kilomètres plus loin et reste condamné à passer ses soirées dans le noir et à faire tourner ses moulins au pétrole.